Wotan est de ces exilés de France qui ont une vision très critique d'une partie de l'actualité française, en particulier vis à vis de tout ce qui touche à Internet. Nous suivons ensemble les débats sur le projet de loi HADOPI à l'Assemblée Nationale, débats déclenchant d'ailleurs en nous des réactions hautement épidermiques. Résidant à Stavanger en Norvège et étant largement au fait de la politique numérique exercée en Scandinavie, Wotan observe les débats français d'un œil aguerri. C'est pourquoi je lui ouvre volontiers les pages de mon blog.

Concilier le partage de fichiers et les droits d’auteurs ? Juste une idée en l’air...

La loi Création et Internet, dont le parcours parlementaire est plus palpitant que n’importe quel épisode de 24, veut concilier les droits des artistes avec les droits des citoyens à l’ère numérique. Ce but initial, et lui seul, est louable. En effet, tout le monde veut que les chanteurs, compositeurs, paroliers reçoivent ce qui leur est dû, y compris pour les échanges de fichiers sur Internet. Mais la méthode employée, la façon dont la loi est tournée (qui ne protégera pas les artistes, au final) et toutes les petites backdoors (le contournement de la LEN, le logiciel de sécurisation) sont une honte et ne servent pas, malheureusement, à faire d’Internet un espace commun où artistes et citoyens y trouveraient leurs comptes.

Le maître des lieux m’a gentiment laissé un espace afin de développer une idée: ce que pourrait être la loi Création et Internet dans un monde parallèle. Alors, je ne suis ni légiste, ni ingénieur réseau, ni artiste (sauf si mes massacres de chansons rock à la guitare comptent). Donc peut-être que je me trompe complètement et que personne n’y trouvera son compte ? Peut-être qu’elle ne peut être transposée sous forme de loi car ce ne serait pas du ressort de l'État ? Je vous la livre telle quelle tout de même.

La première chose à faire serait d’abolir certaines dispositions de la loi DADVSI, légaliser le partage et interdire les DRM, ainsi que définir légalement inter-opérabilité. En conséquence, cette loi Création et Internet imaginaire ne comporterait aucun volet répressif. Ensuite, alors que le parlement Européen vient de rallonger la durée des droits d’auteurs pour la musique de 50 à 70 ans après l’enregistrement, les droits d’auteurs numériques sont remis à plat. La durée des droits d’auteurs est limitée à 10 ans, et cela uniquement pour les échanges de fichiers. En conséquence, tout enregistrement de plus de 10 ans tombe directement dans le domaine public numérique, ce qui de facto permet la mise à disposition d’œuvres de musique classique sans problème (l’une des grandes absentes de l’offre légale). De plus, ces droits d’auteurs numériques appartiennent exclusivement aux chanteurs, musiciens, paroliers et compositeurs. Les intermédiaires tel que maison de disques en sont exclus, et seul l’artiste à le contrôle de ses droits et en récolte les fruits sur Internet. C’est bien entendu complémentaire, et pour ses ventes de CDs et autres supports physiques, le système actuel est toujours d'actualité.

L’Etat crée une société de gestion et distribution des droits d’auteurs pour les échanges de fichier. N’importe quel artiste peut s’inscrire à cette société, composée de fonctionnaires, qui redistribuera alors les droits d’auteurs directement à cet artiste. Cette inscription est complémentaire à l’inscription à la SACEM, et non pas exclusive. De plus, afin d’aider et d’encourager les artistes, ceux inscrits peuvent recevoir des subventions pour avoir du temps en studio, mettre en place des concerts ou autre. Mais d'où vient cet argent et comment le redistribuer ? Des internautes, tout simplement. Cette société de gestion a pour mission d’ouvrir et de gérer un serveur et tracker privé de fichiers Torrents. A partir du moment où un artiste s’inscrit cette société de gestion des droits d’auteurs numériques, la société doit mettre l’ensemble de son œuvre sur le serveur de Torrents, en MP3 VBR et FLAC, sans DRM bien entendu.

Les internautes peuvent s’inscrire à ce tracker étatique pour une somme forfaitaire (5 euros/mois, renouvelable tous les mois, ou 50 euros/an, par exemple), et télécharger ce qu’ils veulent. La société de gestion garde des statistiques de téléchargement, ce qui permet de rémunérer les auteurs en fonction. Quid des œuvres ayant plus de 10 ans, puisque l’auteur se voit alors déchu de ses droits ? L’argent qui aurait du aller aux ayant-droits pour ces œuvres du domaine public numérique, toujours en fonction des statistiques issus des logs de ce serveur appartenant à l’État, est mis dans un fond, qui est redistribué sous forme de subventions (pour avoir du temps de studio, faire des tournées) aux artistes inscrits. Bien entendu, le tracker/serveur est ouvert pour les contenus libre de droits.

Il s'agit juste d'une base, et il serait possible d'étendre les fonctionnalités de ce tracker pour le rendre plus attractif. Les chaînes de télévision publique pourrait mettre sur ce tracker leurs émissions, une semaine après la diffusion par exemple, en format Haute Définition, voire en streaming. Ces fichiers torrents seraient accessibles via un second compte, gratuit pour ceux payant la redevance, pour une somme de 5 euros/mois pour ceux ne la payant pas. Et surtout, un moyen de rendre ce système de téléchargement légal encore plus attractif serait de lui donner un aspect communautaire très en vogue actuellement. Chaque utilisateur a une page personnelle, sur laquelle est listée l'ensemble des œuvres téléchargées par cet utilisateur. Pour chaque œuvre, l’internaute peut mettre une appréciation sous forme d'étoiles, un système calqué sur celui de RateYourMusic. Il peut aussi y faire un don direct à l’artiste, si il estime que c’est justifié. Il peut créer un réseau d’amis, tout comme RateYourMusic encore une fois, ou MySpace, voire même y ajouter les artistes qu’il apprécie. Deux utilisateurs peuvent comparer leurs goûts, se recommander des œuvres ou des artistes. Selon une méthode proche de celle de LastFM, le système propose automatiquement des recommandations aux utilisateurs selon leurs goûts. Sur cette page personnelle est aussi affichée les statistiques de téléchargement de l’utilisateur, particulièrement le temps en tant que "seed". Chaque mois, les plus gros "seedeurs" sont récompensés (un mois gratuit offert, par exemple).

Bien entendu, un certain temps serait nécessaire pour que ce système se mette en route, avec des débuts difficiles. Encore qu’avec cette idée, toute œuvre enregistrée depuis plus de 10 ans est libre de droits numériques, ce qui laisse un choix énorme pour remplir le tracker dès son ouverture. Néanmoins, je suis persuadé qu’une fois lancé, il connaîtra un succès certain, au mépris des autres solutions de téléchargements actuels (Megaupload, The Pirate Bay, et autres). L’assurance que les artistes seront payés, la qualité des fichiers, la quantité de choix (le succès auprès des internautes sera une assurance que les artistes s’inscriront en nombres), plus quelques bonus comme l’aspect communautaire sont autant de qualités manquantes à l’offre légal actuelle, expliquant son maigre succès. Tout le monde y est gagnant : artistes et auditeurs. Bien sûr, il y a des écueils évidents, le premier étant la mondialisation, surtout sur Internet. Seul les artistes français pourront s’inscrire à cette société de gestion, ou est-ce possible pour un artiste quelque soit sa nationalité ? Quid des utilisateurs ? Français uniquement ou pas ?

Cette approche est radicalement opposée à celle du gouvernement actuel, cependant elle me semble plus juste, plus raisonnable, et surtout elle peut se targuer de véritablement viser Internet et la Création. Alors que je m’oppose bec et ongle à la loi Création et Internet, je serais un fervent supporter de cette version parallèle, et surtout, je m’inscrirais sur ce tracker dès le jour de son ouverture.