Wotan est de ces exilés de France qui ont une vision très critique d'une partie de l'actualité française, en particulier vis à vis de tout ce qui touche à Internet. Nous avons suivi ensemble les débats sur le projet de loi HADOPI à l'Assemblée Nationale, débats déclenchant d'ailleurs en nous des réactions hautement épidermiques. Résidant à Stavanger en Norvège, Wotan est bien placé pour appréhender la politique numérique exercée en Scandinavie. C'est pourquoi je lui ouvre très volontiers les pages de mon blog.

Le modèle scandinave est souvent pris en exemple par les hommes politiques, dans des domaines divers. Le plus souvent, la référence se suffit d’un simple "Ils le font bien en Scandinavie", sans expliciter en détails comment cela se passe dans les pays du Nord. Dans le domaine du partage de fichiers, le gouvernement français pourrait prendre exemple sur la Norvège par exemple, au lieu de faire l’exact contraire. Le but de mes articles sera de passer en revue la position officielle de la Norvège sur trois sujets d'actualité en France : le partage de fichiers soumis aux droits d’auteur, les DRMs et le filtrage du Net.

Pour certains gouvernements, le partage de fichiers soumis aux droits d’auteurs sur Internet est un mal qu’il faut punir. Ils veulent non seulement punir ceux qui en font le commerce (ce qui est normal puisque illégal), mais aussi les petits téléchargeurs qui prennent un album ou quelques épisodes de série de temps à autre. Ils emploient alors des moyens plus ou moins normaux dans un état de droit pour combattre ce qu’ils nomment, avec la bénédiction des industries du disque et du cinéma, un fléau. La France se range dans cette catégorie, grâce d’abord à la loi DADVSI, puis maintenant avec la loi Création et Internet.

Pour d’autres pays, le partage de fichiers est tout simplement une évolution de la société qu’il faut prendre en compte, et non pas une infraction. La Norvège, qui prouve encore son avancée dans le domaine de la technologie, est de ceux-là. Les industries du disque et du cinéma ont commencé à réellement s'intéresser au problème du partage de fichier en Norvège début 2008.

Auparavant, quelques petites actions ponctuelles ont eu lieu, sans grandes incidences. Mais en Février 2008, la police norvégienne informe l’avocat de la MPAA pour le pays qu’elle ne ferait plus aucune enquête concernant le partage de fichiers à petite échelle. Selon le KRIPOS (la police criminelle), sa priorité est d’enquêter sur des crimes, ce que n’est pas le partage de fichiers. L’avocat est donc bloqué, car sans l’aide de la police, il lui est impossible d’obtenir les coordonnées du titulaire d’une ligne Internet. Il se retrouve donc seulement avec une adresse IP, et ne peut rien faire avec. L’entrevue qu’il demande au Ministère de la Justice, dans le but de demander au Ministre de forcer le KRIPOS à collaborer, lui est refusée. Une position partagée par le Ministre de la Culture qui veut punir exclusivement ceux mettant en ligne en masse du contenu protégé par droits d’auteur, et pas ceux qui téléchargent. Ouch ! Pas désarçonné, l’avocat des ayant droits se tourne vers les FAIs et leur demande de fournir les coordonnées personnelles des abonnés dont l’IP a été relevée sur les réseaux P2P, mais aussi de déconnecter leurs lignes. Les FAIs lui opposent une fin de non-recevoir : hors de question pour eux de se mettre hors-la-loi pour aider les ayant droits dans leurs investigations.

La position des FAIs ne changera pas d’un iota quand l’IFPI (dont la branche norvégienne a lancé une campagne) demandera en Février 2009 à Telenor, le principal FAI en Norvège, de bloquer le site de recherche et d'hébergement de fichiers torrent et de couper la connexion des utilisateurs de ce site. Non seulement Telenor refuse, mais de plus le directeur du FAI tape là où cela fait mal : "Le problème ne vient pas des FAIs, mais bien des ayant droits. C’est leur travail de développer une offre viable. [...] Notre expérience personnelle est que si le prix est correct, la demande fournie et de qualité, les gens sont prêt à payer pour télécharger. [...] Il n’existe aucune base légale pour que nous agissions pour les intérêts privés des ayant droits en bloquant des sites internet." La demande de l’IFPI a même réussi à énerver le gouvernement norvégien : le Ministre de la Culture Bård Vegard Solhjell a annoncé que son groupe, le Sosialistisk Venstreparti va étudier la possibilité de légaliser les échanges de fichiers sous copyright à but non lucratif en plus de proposer une solution de licence pour rémunérer les artistes. En clair, légalisation des échanges et création d’un système proche de celui des radios ou de Spotify. Le Ministre considère le P2P comme un outil fantastique, et de plus, est un homme de goût.

Une position dont ferait bien de s’inspirer un certain nombre d'élus et dirigeants. Et le meilleur, c’est que même certains artistes voient publiquement le partage d’un bon oeil. Quand à la télévision publique norvégienne, elle se met au goût du jour. Après quelques expériences, la chaîne publique NRK ouvre son propre tracker de Torrent et met gratuitement à disposition des internautes certaines de ses émissions. Sans DRMs, les fichiers sont en haute qualité. La NRK veut étendre sa base de fichiers, mais rencontre cependant quelques difficultés pour avoir tout les droits, ce qui la pousse a se tourner vers des prestataires fournissant des vidéos et musiques sous licence libre. La première émission mise sur le tracker est une série de documentaires montrant la vie de personnes dans des parties isolées de la Norvège, qui contient une galerie de portraits fascinants ainsi que des paysages époustouflants. Lors de sa diffusion à la télévision, elle connut un succès important. Non seulement la NRK fournit en plus les sous-titres norvégiens, mais autorise et même encourage la création de sous-titres dans d’autres langages. Vous pouvez téléchargez les 6 épisodes ainsi que les sous-titres anglais disponibles sur le blog de la NRK.