Nombreux sont ces internautes - et même blogueur influent - qui ont cru que sous prétexte que le projet de loi HADOPI serait inapplicable (car anticonstitutionnelle, techniquement irréaliste, totalement dépassée), qu'il serait donc inutile de la combattre, puisque chacun saurait mollement s'adapter à la situation (grâce notamment à des solutions de téléchargement illégal non contrôlées par la Haute Autorité) et qu'il n'y avait nullement lieu de s'alarmer.

Heureusement, d'autres internautes - et blogueur influent - ont compris que la loi HADOPI serait le premier point d'ancrage d'une politique visant à enrichir les industries de la musique, du cinéma et de la télévision, celles-la même qui revendiquent bruyamment leur refus de s'adapter aux nouvelles technologies.

Il est très facile de distinguer toute l'absurdité du texte et toute l'hypocrisie de ses défendeurs, puisque l'HADOPI :

  • ne rapportera rien aux artistes (loi pensée par les majors pour les majors)
  • nous coutera cher à tous (contribuables, FAI, consommateurs)
  • crée une présomption de culpabilité (sur la base d'éléments non fiables)
  • prend le risque de sanctionner des innocents sans recours préalable
  • contraint les internautes à acheter un logiciel de type spyware (espion)
  • est inefficace contre le téléchargement illégal de masse non-P2P
  • force l'internaute sanctionné à payer un service qu'il ne pourra plus utiliser

Dans la suite de ce billet, je vous propose une liste de dommages collatéraux dont nous aurions pu nous prémunir en combattant la loi AVANT qu'elle ne fut votée !

1/ Cette loi pousse les internautes à s'intéresser aux possibilités de cryptage applicables à TOUTE information circulant sur Internet (données personnelles, emails, téléchargements en tout genre qu'ils soient légaux ou illégaux). C'est d'autant plus inquiétant que les pédophiles et les terroristes seront très probablement les premiers à être à la pointe de tout ça. Aujourd'hui, la situation qui se dessine est aux antipodes du résultat recherché par la loi.

2/ Les internautes se retrouvent totalement décrédibilisés, notamment les plus actifs dont les mouvements sociaux provoquent l'hilarité des politiques soutenant le projet de loi. En effet, ces internautes "engagés" sont en porte à faux quand ils ne se retrouvent qu'une grosse poignée à défiler. Ils ne sont pas beaucoup plus nombreux à se mobiliser virtuellement en écrivant à leur député ou en s'exprimant sur le sujet (forum, blog, collectifs...).

3/ Cette loi renvoie dos à dos les consommateurs et les artistes dans un climat hautement détestable. Maxime Le Forestier compare les internautes aux allemands pendant la France de Vichy. La plupart nous resservent la fumeuse comparaison entre le vol de fichiers musicaux et le vol de baguettes de pain dans une boulangerie (savez-vous copier et dupliquer les baguettes de pain ?). Enrico Macias, pour qui "Internet est la source de tous [leurs] problèmes", compare le téléchargement "à du vol à main armé".

4/ Christine Albanel est toujours là, tambour battant malgré l'évocation discrète de sa possible démission en cas d'échec et un succès finalement largement mitigé : un rejet de la loi en première lecture et un passage en force en deuxième lecture avec seulement 53% des députés favorables à la loi, dans un contexte où la propagande a été massive (pression extrême du Président de la République et des lobbys du disque, du cinéma etc...). Mais à priori sa fin est proche...

5/ Selon Christine Albanel, HADOPI incarne "le Génie Français", rien que ça ! J'en aurais ri pendant deux semaines sans discontinuer. Pour Transnets, le blog de Francis Pisani, elle incarne "le mauvais exemple mondial".

6/ La France va désavouer très clairement le parlement européen en appliquant une loi contraire à un des amendements du "paquet Telecom". A l'heure des élections européennes, n'aurait-il pas prévalu de redonner goût aux citoyens pour un scrutin enregistrant déjà habituellement des taux d'abstention records ? Dans ce contexte, comment expliquer au grand public qu'il est important d'élire son député européen, si la France s'assoit sur les décisions du parlement où il siège ?

7/ Pourquoi la SACEM (mais aussi l'ADAMI) et la CNIL ne se réveillent que très récemment, la première pour (ré)affirmer que l'HADOPI ne sera d'aucune aide pour rémunérer les artistes et la seconde pour annoncer qu'elle n'était pas du tout favorable au principe d'une sanction sans recours juridique préalable ? Après nous avoir rabâché pendant des mois que la licence globale était un concept inapplicable et inefficace, la SACEM suggère finalement que les FAIs soient taxés (cette taxe s'ajoute à celles des disques durs, CDs, DVDs, cartes mémoires, lecteurs MP3, clés USB, téléphone portable, blue-ray...).

8/ Au sujet de la CNIL justement, pourquoi Alex Türk qui en est le président et qui est aussi sénateur, a voté pour le projet de loi s'il est contre ? En fait, les débats sur l'HADOPI ont malheureusement mis en évidence qu'il n'est pas toujours bon d'exprimer son opinion librement, même dans un cadre privé. Je veux bien sûr parler de cet employé de TF1 dont l'histoire a été relayée sur de nombreux blogs et sites d'information. Dans le cadre public, ajoutons qu'Orange veille à modérer les positions anti-HADOPI de ses employés, même s'il est tout à fait compréhensible qu'une entreprise soit vigilante vis à vis de sa position officielle sur un sujet quel qu'il soit. Autre exemple : les jeunes UMP qui ont été littéralement bâillonnés par leur parti alors que 9 jeunes sur 10 se sont exprimés contre le projet de loi. Un autre exemple ? Nathalie Kosciusko-Morizet se méfie de la susceptibilité du cabinet d'Albanel comme le rappelle cet article. Au moins un élément de réponse : quitte à faire passer des textes de loi d'une absurdité indéniable, l'entretien d'une bonne image de l'UMP doit absolument rester une tâche prioritaire. La maîtrise des médias devient par conséquent une discipline incontournable.

9/ Et surtout, la loi HADOPI (dite, rappelons-le pour en rire, "loi création et Internet") offre un formidable boulevard au prochain texte de loi surnommé "LOPPSI" (Loi pour la performance de la sécurité intérieure) dont le contenu, sous-couvert d'être une loi favorisant la sécurité intérieur (la HADOPI ne devait-elle pas servir à traquer les pédophiles et les terroristes ?), annonce des débats houleux mettant en sursis des notions aussi globales et fondamentales que la neutralité du net ou sa régulation...

En fait, chacun de ces points mériterait un article complet. Pour autant, je pense avoir réussi à lister l'essentiel de ces dommages collatéraux. Espérons simplement que les internautes qui n'ont pas bougé le petit doigt entre Février et Mai 2009 ne le regretteront pas dans les décennies à venir.