Wotan est de ces exilés de France qui ont une vision très critique d'une partie de l'actualité française, en particulier vis à vis de tout ce qui touche à Internet. Nous avons suivi ensemble les débats sur le projet de loi HADOPI à l'Assemblée Nationale, débats déclenchant d'ailleurs en nous des réactions hautement épidermiques. Résidant à Stavanger en Norvège, Wotan est bien placé pour appréhender la politique numérique exercée en Scandinavie. C'est pourquoi je lui ouvre très volontiers les pages de mon blog.

Les verrous numériques (appelés aussi DRMs) sur les fichiers numériques ne sont pas particulièrement vu d’un bon œil en Norvège, l’interoperabilité étant une notion importante pour les associations de consommateurs locales.

Une guerre entre la Norvège et la firme Apple s’engagea autour des DRMs, plus précisément autour du DRM Fairplay de l’iPod. La Norvège envoya les premiers obus en juin 2006, via la voix de son médiateur pour les consommateurs, Bjørn Erik Thon. La plainte originelle émane du Forbrukerradet, l’association de consommateurs nationale. La liste des griefs contre la firme à la pomme est longue : impossibilité de lire des morceaux achetés sur iTunes sur un autre baladeur MP3 que l’iPod, ainsi que des clauses abusives dans les termes et conditions d’achat sur la plate-forme iTunes Store.

Pour le médiateur, Apple n’agit pas dans le meilleur intérêt des consommateurs norvégiens et se met dans l'illégalité (voir l'article de Forbrukerombudet et celui de Out-law.com). Les cojones nécessaires pour accuser l’une des plus grosses compagnies mondiales d’agir en dehors du cadre de la loi doit être un héritage Viking ! Le conflit se résoudra rapidement sur le sujet des clauses contractuelles abusives, tandis qu’il traînera en longueur autour de la question des DRMs. Pendant deux ans de débats, Apple restera campé sur sa position : les DRMs lui sont imposé par les majors du disque, et la Norvège devrait négocier avec eux plutôt qu’avec Apple. Une réponse que le médiateur n'appréciera pas, donnant une date limite à Apple pour résoudre le problème: le 3 Novembre 2008, qui passa sans qu’Apple ne résolve le problème des DRMs. Bjørn Erik Thon engagea alors une action en justice auprès du Forbrukerombudet, un tribunal de consommateurs pouvant forcer les compagnies à changer leurs pratiques commerciales si elles violent la loi norvégienne. Le procès n’aura au final pas lieu, la Norvège retirera sa plainte après l’annonce d’Apple d’abandonner les DRMs en Janvier 2009. Cette décision d’abandonner les verrous numériques sur une échelle mondiale n’est bien entendu pas du aux pressions norvégiennes, plutôt a la prise de conscience de la non-attractivité des offres avec DRMs.

Le réseau Internet en Norvège possède une architecture particulière,chaque abonné est derrière un serveur proxy, ce qui permet d'implémenter un filtrage avec une liste noire de sites impossibles à accéder. Sans que l'État ne légifère, le KRIPOS et les principaux fournisseurs d'accès du pays ont mit en place, dans un effort collaboratif, un filtre qui empêche aux internautes norvégiens d’avoir accès à certains sites. Telenor insiste que les sites filtrés sont tous des fournisseurs de matériel pédopornographique. La liste étant tenu secrète, il est impossible de vérifier. Wikileaks a cependant réussi à savoir quels sites sont bloqués grâce à un système de scanning en prenant un proxy en Norvège. Il est fort possible que parmi ces sites se trouvent plusieurs sites pornographiques légaux, cependant une lecture attentive de la liste révèle qu’elle ne contient aucun site politique, sur le terrorisme ou encore des sites prônant une idéologie raciste ou xénophobe. Il semblerait donc que les fournisseurs d'accès et la police jouent le jeu et respectent la neutralité du Net. De plus, Telenor s’engage à ne pas collecter les données personnelles d’utilisateurs arrivant sur un site filtré, ni à relever leur adresse IP. L’internaute est directement redirigé vers une page du KRIPOS lui donnant les coordonnées de la Police si il souhaite les contacter.

Il est facile de prendre le modèle norvégien en exemple lors de discours, cependant lorsqu’il s’agit de légiférer, soudainement une direction totalement opposée est prise, que ce soit avec la loi DADVSI ou le projet de loi HADOPI. Le seul point sur lequel le gouvernement en France suit l’exemple de la Norvège est le filtrage des réseaux. Il oublie cependant que l’architecture du Net est complètement différente en France. Et surtout, il faut prendre en compte les problèmes de neutralité du Net, ainsi que la restriction au filtrage aux sites pédopornographiques, avec une définition claire évitant le filtrage de pages Wikipedia sur un album de musique des Scorpions par exemple, sans même parler de faire dévier ce filtrage sur des sites tel que The Pirate Bay, voire même pire.

Et divers éléments laissent planer le doute: est-ce que le même sens de l'éthique appliqué en Norvège sera de mise en France ? Quelque fois, je me demande lequel des deux pays est en vérité le pays des Trolls.